Séquence 6

Madame Bovary, Gustave Flaubert

Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

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Objet d’étude : Le travail de l’écriture.

Objectif : Comprendre comment s’élabore une œuvre.

Notions abordées : - Origine de l’inspiration littéraire

- Naissance du cadre et des personnages

Lecture préalable : Madame Bovary, Flaubert.

 

Organisation de la séquence

 

Séance 1 : Présentation de la séquence, exposé sur la biographie de Flaubert et questionnaire de lecture sur Madame Bovary.

Séance 2 : L’inspiration première et la mise en place du cadre.

Corpus : Texte de Maxime Du Camp ; plans de Yonville (manuscrit (édition de 1902 p.499) et retranscrit) ; Yonville l’Abbaye : extrait d’un scénario de Madame Bovary (édition de 1902 p.498 et 500).

Questions : 1. D’après le texte de Maxime Du Camp, comment Flaubert a-t-il conçu le projet d’écrire Madame Bovary ?

2. Quels renseignements précis donnent sur le roman le plan d’Yonville et la description d’Yonville extraite d’un des scénarios ? Quelle peut être l’utilité de ces précisions préalables pour un romancier ?

Plan d'Yonville :

Séance 3 : Les scénarios : trame du roman et caractérisation des personnages.

Corpus : scénario issu de l’édition de 1902 du roman p.494 et 495 ;

Questions : 1. Quels éléments concernant les personnages et le schéma narratif sont donnés dès le scénario ?

2. Quelle est l’utilité de ces précisions pour la rédaction ultérieure du roman ?

Séance 4 : La phase rédactionnelle : l’épisode des comices agricoles.

Corpus : Les comices : ébauches d’une scène ; vers le brouillon des comices ; les comices : le manuscrit et ses variantes. Documents complémentaires : brouillons de Flaubert pour l’incipit du roman (édition de 1902 p.492 et 493).

Questions : 1. Qu’est-ce que le travail d’écriture a apporté, selon vous, à la composition du personnage de Rodolphe et à son rôle symbolique dans le roman ?

2. Comment évolue, au fil du travail, le point de vue de l’auteur sur ses personnages ? Comment les différents types de discours rapportés peuvent-ils vous renseigner sur ce point ?

Séance 5 : La phase pré-éditoriale : le doute.

Corpus : Lettre de Flaubert à Louise Colet (22 juillet 1852) ; Madame Bovary, partie II, chapitre 12.

Questions : 1. De quoi se plaint Flaubert dans sa lettre à Louise Colet ? Détaillez les raisons de son inquiétude.

2. Justifiez le rapprochement de ces deux textes : quel portrait de l’écrivain vous permettent-ils de faire ?

Séance 6 : La phase éditoriale : l’engagement.

Corpus : Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (16 juin 1856) ; Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (24 août 1856) ; Lettre de Flaubert à Léon Laurent-Pichat (7 décembre 1856) ; Lettre de Flaubert à la Revue de Paris (15 décembre 1856).

Questions : 1. Pourquoi Flaubert répugne-t-il à faire des corrections ? Quels aveux fait-il sur ce point à Louis Bouilhet ? Quels arguments développe-t-il à ce sujet pour Léon Laurent-Pichat et la Revue de Paris ?

2. Notez la progression chronologique des lettres. Correspond-elle à une évolution de l’état d’esprit de Flaubert ? Laquelle ?

Séance 7 : Un chef-d’œuvre, un procès.

Corpus : Réquisitoire d’Ernest Pinard et plaidoirie de maître Sénard (1857) ; Lettre de Flaubert à Frédéric Baudry (février 1857) ; texte de H.R. Jauss ; document iconographique : Lemot, Gustave Flaubert disséquant Madame Bovary (1869).

Questions : 1. Quel est le principal reproche qu’Ernest Pinard adresse à Flaubert ? Au nom de quelles valeurs ?

2. Selon H.R. Jauss, sur quelle erreur d’interprétation littéraire l’argument de l’accusation repose-t-il ?

3. En quoi la caricature de Flaubert illustre-t-elle la querelle autour de Madame Bovary ?

Séance 8 : L’issue du procès.

Corpus : Charles Baudelaire, L’Artiste (18 octobre 1857) ; dédicace de Flaubert à Me Sénard (12 avril 1857) et portrait de Flaubert (Madame Bovary, édition de 1902).

Questions : 1. Baudelaire oppose deux catégories de critiques. Lesquelles ?

2. Quels compliments décerne-t-il aux juges ? Quel éloge fait-il de Madame Bovary ? Prend-il la défense de Flaubert ou celle de l’art ?

3. D’après la dédicace de Flaubert, quelle caution supplémentaire le procès a-t-il apporté à son roman ?

Séance 9 : Vidéo : Madame Bovary, d’après l’œuvre de Gustave Flaubert.

 

Evaluation finale :

1. Sujet d'écriture d'invention en DM :

Maxime du Camp, dans sa relation du fait divers à l’origine de Madame Bovary, présente l’héroïne comme " une petite femme sans beauté, […] au visage piolé de taches de rousseur ".

A l’opposé, Emma Bovary, décrite par son mari et ses amants, est une " belle dame en robe de nankin ". Lors de la scène des comices, Rodolphe "rêvait à ce qu’elle avait dit et à la forme de ses lèvres ; sa figure, comme en un miroir magique, brillait sur la plaque des shakos […] ".

En choisissant obligatoirement un point de vue masculin, proposez une réécriture de cette description d’une Emma Bovary d’allure ingrate, plus proche de son modèle dans la réalité.

Attention : Vous conserverez le niveau de langue du texte de Flaubert et vous aurez soin de rendre le portrait réaliste.

2. Commentaire littéraire d'un extrait de Madame Bovary lors de l'examen blanc de début avril.

 

 

NOM :

Prénom :

Classe :

Questionnaire de lecture

Madame Bovary, Flaubert

  1. Q.C.M. (10 points):

 

a

b

c

1. Le roman débute :

  1. à l’étude dans une école, b) chez Emma Rouault,

c) chez le pharmacien Homais.

 

 

 

2. L’éducation d’Emma s’est faite :

a) dans la rue, b) à la ferme, c) au couvent.

 

 

 

3. Emma épouse Charles car :

  1. elle a peur de finir vieille fille,

b) elle aime passionnément Charles,

c) elle voit en Charles la réussite sociale.

 

 

 

4. Lorsque Emma épouse Charles, celui-ci est :

a) divorcé, b) veuf, c) célibataire.

 

 

 

5. Charles :

  1. aime sa femme, b) tolère sa femme,

c) n’accorde aucun intérêt à sa femme.

 

 

 

6. Le premier déménagement du couple a lieu :

  1. de Tostes à Yonville, b) de Yonville à Rouen,

c) de Tostes à Rouen.

 

 

 

7. Lorsqu’elle est mélancolique, Emma se réfugie :

a) dans la nature, b) dans le travail, c) dans la lecture.

 

 

 

8. Qu’est-ce que " l’Hirondelle " ?

a) une diligence, b) un café, c) un théâtre.

 

 

 

9. Le pharmacien Homais est :

  1. anticlérical et philosophe, b) dévot et philosophe,

c) philosophe et royaliste.

 

 

 

10. A quelle occasion Emma et Rodolphe se rencontrent-ils ?

  1. lors des comices agricoles,
  2. lors d’une réunion médicale chez Homais,

c) lors de la saignée d’un domestique de Rodolphe.

 

 

 

11. Rodolphe est le type même :

  1. de l’amoureux transi, b) du séducteur,

c) de l’homme fidèle et raisonnable.

 

 

 

12. Où a lieu la " capitulation " d’Emma face à Rodolphe ?

a) en forêt, b) dans une chambre d’hôtel, c) chez Emma.

 

 

 

13. Qui sont les amours d’Emma ?

  1. Rodolphe et Homais, b) Rodolphe et Léon,

c) Rodolphe et Lheureux.

 

 

 

14. Quel est le métier de Lheureux ?

a) modiste, b) libraire, c) mercier.

 

 

 

15. Quel est le rôle de Lheureux ?

  1. venir en aide aux Bovary, b) endetter les Bovary,

c) raisonner Emma.

 

 

 

16. Emma meurt :

a) par accident, b) par suicide, c) de mort naturelle.

 

 

 

17. Qu’est-ce que le bovarysme ?

  1. le fait de rêver sa vie plutôt que de la vivre,
  2. l’insatisfaction du mariage qui mène au suicide,

c) la multiplication des aventures galantes.

 

 

 

18. Quel conflit apparaît dans ce roman ?

  1. le conflit entre le rêve et la réalité,

b) le conflit entre l’amour et l’argent,

c) le conflit entre la culture et l’ignorance.

 

 

 

19. Ce roman peut être considéré comme une caricature :

a) du réalisme, b) du romantisme, c) de la tragédie.

 

 

 

20. Flaubert est considéré comme le père spirituel de :

a) Hugo, b) Maupassant, c) Balzac.

 

 

 

 

II. Questions (10 points):

1. Quel est le système d’énonciation (= point de vue) choisi par Flaubert dans

son roman ? Pourquoi ? (1 point)

2. Au début du roman, choisissez deux éléments qui montrent qu’Emma est

une éternelle insatisfaite. (1 point)

3. Pour quelles raisons Homais cherche-t-il à entrer dans les bonnes grâces de

Charles ? (1 point)

4. Que représentent : (donnez la valeur symbolique) (3 points)

5. En quoi la mort de Charles est-elle vraiment pathétique ? Comparez-la à celle

de sa femme. (2 points)

6. Sur quelle scène s’achève le roman ? Dites ce qu’elle représente. (2 points)

Bon travail !

 

 

Corrigé du questionnaire de lecture

Madame Bovary, Flaubert

 

 I. Q.C.M. :

 

a

b

c

1. Le roman débute:

  1. à l’étude dans une école, b) chez Emma Rouault,
  2. c) chez le pharmacien Homais.

+

 

 

2. L’éducation d’Emma s’est faite :

a) dans la rue, b) à la ferme, c) au couvent.

 

 

+

3. Emma épouse Charles car :

a) elle a peur de finir vieille fille,

  • elle aime passionnément Charles,
  • c) elle voit en Charles la réussite sociale.

     

     

     

    +

    4. Lorsque Emma épouse Charles, celui-ci est :

    a) divorcé, b) veuf, c) célibataire.

    +

     

     

    5. Charles :

    1. aime sa femme, b) tolère sa femme,

    c) n’accorde aucun intérêt à sa femme.

    +

     

     

    6. Le premier déménagement du couple a lieu :

    1. de Tostes à Yonville, b) de Yonville à Rouen,

    c) de Tostes à Rouen.

    +

     

     

    7. Lorsqu’elle est mélancolique, Emma se réfugie :

    a) dans la nature, b) dans le travail, c) dans la lecture.

     

     

    +

    8. Qu’est-ce que " l’Hirondelle " ?

    a) une diligence, b) un café, c) un théâtre.

    +

     

     

    9. Le pharmacien Homais est :

    1. anticlérical et philosophe, b) dévot et philosophe,

    c) philosophe et royaliste.

    +

     

     

    10. A quelle occasion Emma et Rodolphe se rencontrent-ils ?

    1. lors des comices agricoles,
    2. lors d’une réunion médicale chez Homais,

    c) lors de la saignée d’un domestique de Rodolphe.

     

     

     

    +

    11. Rodolphe est le type même :

    1. de l’amoureux transi, b) du séducteur,

    c) de l’homme fidèle et raisonnable.

     

    +

     

    12. Où a lieu la " capitulation " d’Emma face à Rodolphe ?

    a) en forêt, b) dans une chambre d’hôtel, c) chez Emma.

    +

     

     

    13. Qui sont les amours d’Emma ?

    1. Rodolphe et Homais, b) Rodolphe et Léon,

    c) Rodolphe et Lheureux.

     

    +

     

    14. Quel est le métier de Lheureux ?

    a) modiste, b) libraire, c) mercier.

     

     

    +

    15. Quel est le rôle de Lheureux ?

    a) venir en aide aux Bovary, b) endetter les Bovary,

    c) raisonner Emma.

     

    +

     

    16. Emma meurt :

    a) par accident, b) par suicide, c) de mort naturelle.

     

    +

     

    17. Qu’est-ce que le bovarysme ?

    1. le fait de rêver sa vie plutôt que de la vivre,
    2. l’insatisfaction du mariage qui mène au suicide,

    c) la multiplication des aventures galantes.

    +

     

     

    18. Quel conflit apparaît dans ce roman ?

    a) le conflit entre le rêve et la réalité,

    b) le conflit entre l’amour et l’argent,

    c) le conflit entre la culture et l’ignorance.

    +

     

     

    19. Ce roman peut être considéré comme une caricature :

    a) du réalisme, b) du romantisme, c) de la tragédie.

     

    +

     

    20. Flaubert est considéré comme le père spirituel de :

    a) Hugo, b) Maupassant, c) Balzac.

     

    +

     

     

    II. Questions :

    1. Quel est le système d’énonciation (= point de vue) choisi par Flaubert dans son roman ? Pourquoi ? (1 point)

    De façon générale Flaubert choisit le point de vue omniscient. Cela permet au lecteur d’avoir davantage de renseignements sur les pensées des personnages (psychologie, sentiments).

    2. Au début du roman, choisissez deux éléments qui montrent qu’Emma est une éternelle insatisfaite. (1 point)

    Emma est une éternelle insatisfaite. Ses aspirations religieuses se transforment en irrévérence ; le plaisir qu’elle trouve à tout régenter chez son père se transforme en lassitude ; l’amour qu’elle croyait éprouver pour Charles disparaît devant le calme et leur bonheur.

    3. Pour quelles raisons Homais cherche-t-il à entrer dans les bonnes grâces de Charles ? (1 point)

    Homais cherche à entrer dans les bonnes grâces de Charles car il a exercé la médecine illégalement et il continue (dans l’arrière-boutique).

    4. Que représentent : (donnez la valeur symbolique)

    5. En quoi la mort de Charles est-elle vraiment pathétique ? Comparez-la à celle de sa femme. (2 points)

    Charles est un être qui a toujours eu un lien avec la réalité et jamais avec le rêve. Il n’a rien à voir avec les romans lus par Emma. Or il n’y a qu’au moment de sa mort qu’il se révèle comme héroïque en mourant d’amour. La passion de Charles s’inscrit dans un contexte morbide. C’est un avatar de la tragédie. D’autre part, Emma est morte en faisant du bruit, en se faisant remarquer. Lui meurt discrètement, sans bruit, tel qu’il a vécu (mutisme d’une passion absolue). Emma, elle, a mis en scène sa mort.

    6. Sur quelle scène s’achève le roman ? Dites ce qu’elle représente. (2 points)

    Homais est récompensé par la légion d’honneur. C’est en quelque sorte la consécration de la bêtise. Le réel permet de vivre. La passion n’a aucune issue si ce n’est la mort. Homais ira peut-être loin car il jouit des faveurs, de la considération de l’autorité et de l’opinion publique. C’est un opportuniste.

     

      

    Examen blanc de 2nde (avril 2003)

    Epreuve de français

    Sujet : Vous ferez le commentaire littéraire du texte suivant, extrait de Madame Bovary de Flaubert.

    Allons, se dit-il, commençons !

    Il écrivit : .
    " Du courage, Emma ! du courage ! Je ne veux pas faire le malheur de votre existence... "
    - Après tout, c’est vrai, pensa Rodolphe ; j’agis dans son intérêt ; je suis honnête.
    " Avez-vous mûrement pesé votre détermination ? Savez-vous l’abîme où je vous entraînais, pauvre ange ? Non, n’est-ce pas ? Vous alliez confiante et folle, croyant au bonheur, à l’avenir... Ah ! malheureux que nous sommes ! insensés ! " .
    Rodolphe s’arrêta pour trouver ici quelque bonne excuse. .
    - Si je lui disais que toute ma fortune est perdue ?... Ah ! non, et d’ailleurs, cela n’empêcherait rien. Ce serait à recommencer plus tard. Est-ce qu’on peut faire entendre raison à des femmes pareilles !
    Il réfléchit, puis ajouta : .
    " Je ne vous oublierai pas, croyez-le bien, et j’aurai continuellement pour vous un dévouement profond ; mais, un jour, tôt ou tard, cette ardeur (c’est là le sort des choses humaines) se fût diminuée, sans doute ! Il nous serait venu des lassitudes, et qui sait même si je n’aurais pas eu l’atroce douleur d’assister à vos remords et d’y participer moi-même, puisque je les aurais causés ! L’idée seule des chagrins qui vous arrivent me torture. Emma ! Oubliez-moi ! Pourquoi faut-il que je vous aie connue ? Pourquoi étiez-vous si belle ? Est-ce ma faute ? Ô mon Dieu ! non, non, n’en accusez que la fatalité ! "
    - Voilà un mot qui fait toujours de l’effet, se dit-il. .
    " Ah ! si vous eussiez été une de ces femmes au coeur frivole comme on en voit, certes j’aurais pu, par égoïsme, tenter une expérience alors sans danger pour vous. Mais cette exaltation délicieuse, qui fait à la fois votre charme et votre tourment, vous a empêchée de comprendre, adorable femme que vous êtes, la fausseté de notre position future. Moi non plus, je n’y avais pas réfléchi d’abord, et je me reposais à l’ombre de ce bonheur idéal, comme à celle du mancenillier, sans prévoir les conséquences. "
    - Elle va peut-être croire que c’est par avarice que j’y renonce... Ah ! n’importe ! tant pis, il faut en finir!
    " Le monde est cruel, Emma. Partout où nous eussions été, il nous aurait poursuivis. Il vous aurait fallu subir les questions indiscrètes, la calomnie, le dédain, l’outrage peut-être. L’outrage à vous ! Oh !... Et moi qui voudrais vous faire asseoir sur un trône ! moi qui emporte votre pensée comme un talisman ! Car je me punis par l’exil de tout le mal que je vous ai fait. Je pars. Où ? Je n’en sais rien, je suis fou ! Adieu ! Soyez toujours bonne ! Conservez le souvenir du malheureux qui vous a perdue. Apprenez mon nom à votre enfant, qu’il le redise dans ses prières. " .
    La mèche des deux bougies tremblait. Rodolphe se leva pour aller fermer la fenêtre, et, quand il se fut rassis : .
    - Il me semble que c’est tout. Ah ! encore ceci, de peur qu’elle ne vienne à me relancer :
    " Je serai loin quand vous lirez ces tristes lignes ; car j’ai voulu m’enfuir au plus vite afin d’éviter la tentation de vous revoir. Pas de faiblesse ! Je reviendrai ; et peut-être que, plus tard, nous causerons ensemble très froidement de nos anciennes amours. Adieu ! " .
    Et il y avait un dernier adieu, séparé en deux mots : A Dieu ! ce qu’il jugeait d’un excellent goût.
    - Comment vais-je signer, maintenant ? se dit-il. Votre tout dévoué ?... Non. Votre ami ?... Oui, c’est cela.
    " Votre ami. "

    Il relut sa lettre. Elle lui parut bonne.

    Flaubert, Madame Bovary (Première partie, chapitre 13), 1857.

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 2 : L’inspiration première et la mise en place du cadre.

    Le plan de Yonville

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

     

    Séance 2 : L’inspiration première et la mise en place du cadre.

     

    Texte de Maxime Du Camp

     

    Tout à coup Bouilhet (1) dit : " Pourquoi n'écrirais-tu pas l'histoire de Delaunay (2) ? " Flaubert redressa la tête et, avec joie, s'écria : " Quelle idée ! "

    Delaunay était un pauvre diable d'officier de santé qui avait été l'élève du père de Flaubert et que nous avions connu. Il s'était établi médecin près de Rouen, à Bon-Secours. Marié en premières noces à une femme plus âgée que lui, et qu'il avait cru riche, il devint veuf et épousa une jeune fille sans fortune qui avait reçu quelque instruction dans un pensionnat de Rouen. C'était une petite femme sans beauté dont les cheveux d'un jaune terne encadraient un visage piolé de taches de rousseur. Prétentieuse, dédaignant son mari, qu’elle considérait comme un imbécile, ronde et blanche, avec des os minces qui n'apparaissaient pas, elle avait dans la démarche, dans l'habitude générale du corps, des flexibilités et des ondulations de couleuvre. […] Delaunay adorait cette femme, qui ne se souciait guère de lui, qui courait les aventures et que rien n'assouvissait. [...] Accablée de dettes, poursuivie par ses créanciers, battue par ses amants pour lesquels elle volait son mari, elle fut prise d’un accès de désespoir et s’empoisonna.

    Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires (1882)

     

     

    1. Louis Bouilhet (1822-1869) : ami de Flaubert, poète et auteur dramatique.
    2. Du Camp déguise le nom de Delamare sous le pseudonyme de Delaunay.

     

     

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 2 : L’inspiration première et la mise en place du cadre.

     

    Yonville l’Abbaye : extrait d’un scénario de Madame Bovary.

     

    Yonville l’Abbaye – gros bourg dans une vallée une petite rivière – des bois à qq. distances hôtel du Lion d’or, tenu par une veuve " Le François, au lion d’or ". C’est là qu’on prend la voiture pour Rouen, l’hirondelle Cauchoise, conduite par Hivert, messager qui fait toutes les commissions sans savoir lire – beaucoup de mémoire admiré par le Pharmacien. Me Emma donne un chic anglais au jardin – petite rivière au fond – au delà de la rivière une prairie – la maison de Me Bovary est sur la place – au bout de la place les halles – plus loin l’église, une église neuve avec un clocher carré en ardoise – cimetière neuf, deux ou trois tombes seulement, l’ancien est en dehors du pays – en face de la maison celle du pharmacien qui a un jardin plus grand, plus cultivé et plus fleuri que celui de Me Bovary – pour jardinier il a un petit cousin de 14 ans qui est en même temps son garçon de boutique et son élève. […] En face demeure chez le pharmacien le Mtre clerc de Me Guillaumet, Mr Léon Dupuis, nature pareille à celle de Charles, mais supérieur physiquement et moralement surtout comme éducation. C’est un jeune homme de bonne famille – joue du piano – tous les jours pour aller dîner au Lion d’or ou pour aller à l’étude, il passe devant les fenêtres de Mme Bovary, marchant sur le petit trottoir en cailloux qui borde les maisons de la place, la gouttière à trois pieds du sol crache l’eau sur les passants et lave les petits grès – il passe régulièrement à l’heure la plus inoccupée de la journée – Mme Bovary est seule dans la salle à sa fenêtre, c’est une habitude pour elle que de voir glisser ce profil […]

     

     

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 4 : La phase rédactionnelle : l’épisode des comices agricoles.

     

    Les comices : le manuscrit et ses variantes

     

    On trouve pourtant des particuliers qui s'extasient devant tout cela ! et qui nous prônent la médiocrité, qui y pataugent avec délices ! Ils vivent comme leur propre pot-au-feu, à petits bouillons, régulièrement, bêtement, avec des bouts de manche pour ménager leurs habits, des toiles cirées pour ménager leurs tables, et des use-tout de bois pour ménager la chandelle.

    Variante - Ms.g 223.3, folio 103.

     

    C'est que l'âme aussi s'en ressent, croyez-moi : toutes les élégances se tiennent et les superficielles ne font que couler des profondes - si les occupations influent sur l'esprit, s'il y a des métiers malsains, pourquoi ne voulez-vous pas que certains lieux, certains spectacles continuels, la fréquentation des sots, la vue d'un horizon borné et le commerce de la bêtise ne suffisent pas pour courber l'âme, ratatiner l'esprit, vicier le sentiment ? Vous figurez-vous la tête d'un poète sous un bonnet de coton, ou les pieds d'une danseuse dans les sabots d'un charretier ?

    Variante - Ms.g 223.3, folio 104.

     

    Il foulait avec elle les crottins de cheval, une main dans la poche de sa veste et son chapeau de paille mis sur le côté.

    - D'ailleurs, ajouta-t-il, quand on habite la campagne...

    - C'est vrai ! répliqua Rodolphe. Songez que pas un seul de ces braves gens n'est capable de comprendre même la tournure d'un habit !

    Alors ils parlèrent de la médiocrité provinciale, des existences qu'elle étouffait, des illusions qui s'y perdaient.

    Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857.

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 5 : La phase pré-éditoriale : le doute.

     

    Lettre de Flaubert à Louise Colet (22 juillet 1852)

    Tu as tort de me reprocher de n'avoir pas plutôt employé mon temps à aller te voir. Je t'assure que ça m'eût fait un tout autre plaisir.

    Comme tu m'écris, pauvre chère Louise, des lettres tristes depuis quelque temps ! Je ne suis pas de mon côté fort facétieux. L’intérieur et l'extérieur, tout va assez sombrement. La Bovary marche à pas de tortue ; j’en suis désespéré par moments. D'ici à une soixantaine de pages, c'est-à-dire pendant trois ou quatre mois, j'ai peur que ça ne continue ainsi. Quelle lourde machine à construire qu'un livre, et compliquée surtout ! Ce que j'écris présentement risque d'être du Paul de Kock si je n'y mets une forme profondément littéraire. Mais comment faire du dialogue trivial qui soit bien écrit ? Il le faut pourtant, il le faut. Puis, quand je vais être quitte de cette scène d'auberge, je vais tomber dans un amour platonique déjà ressassé par tout le monde et, si j’ôte de la trivialité, j’ôterai de l'ampleur. Dans un bouquin comme celui-là, une déviation d'une ligne peut complètement m'écarter du but, me le faire rater tout à fait. Au point où j'en suis, la phrase la plus simple a pour le reste une portée infinie. De là tout le temps que j'y mets, les réflexions, les dégoûts, la lenteur ! [...]

    Je ne crois pas que ce soit le génie, la patience ; mais c'en est le signe quelquefois et ça en tient lieu. Ce vieux croûton de Boileau vivra autant que qui que ce soit, parce qu'il a su faire ce qu'il a fait. Dégage-toi de plus en plus, en écrivant, de ce qui n'est pas de l'Art pur. Aie en vue le modèle, toujours, et rien autre chose. Tu en sais assez pour pouvoir aller loin ; c'est moi qui te le dis. Aie foi, aie foi Je veux (et j’y arriverai) te voir t'enthousiasmer d'une coupe, d'une période, d'un rejet, de la forme en elle-même, enfin, abstraction faite du sujet, comme tu t'enthousiasmais autrefois pour le sentiment, pour le coeur, pour les passions. L’Art est une représentation, nous ne devons penser qu'à représenter. Il faut que l'esprit de l'artiste soit comme la mer, assez vaste pour qu’on n'en voie pas les bords, assez pur pour que les étoiles du ciel s'y mirent jusqu'au fond.

    Gustave Flaubert, Correspondance.

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 5 : La phase pré-éditoriale : le doute.

     

    Gustave Flaubert, extrait de Madame Bovary (1857)

     

    - M'aimes-tu ?

    - Mais oui, je t'aime ! répondait-il.

    - Beaucoup ?

    - Certainement !

    - Tu n'en as pas aimé d'autres, hein ?

    - Crois-tu m'avoir pris vierge ? s'exclamait-il en riant.

    Emma pleurait, et il s'efforçait de la consoler, enjolivant de calembours ses protestations.

    - Oh ! c'est que je t'aime ! reprenait-elle, je t'aime à ne pouvoir me passer de toi, sais-tu bien ? J'ai quelquefois des envies de te revoir où toutes les colères de l'amour me déchirent. Je me demande : " Où est-il ? Peut-être il parle à d'autres femmes ? Elles lui sourient, il s'approche... " Oh n'est-ce pas, aucune ne te plaît ? Il y en a de plus belles ; mais, moi, je sais mieux aimer ! je suis ta servante et ta concubine ! Tu es mon roi, mon idole ! tu es bon ! tu es beau ! tu es intelligent ! tu es fort !

    Il s'était tant de fois entendu dire ces choses, qu'elles n'avaient pour lui rien d'original. Emma ressemblait à toutes les maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissant voir à nu l’éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage. Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique, la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions. Parce que des lèvres libertines ou vénales lui avaient murmuré des phrases pareilles, il ne croyait que faiblement à la candeur de celles-là ; on en devait rabattre, pensait-il, les discours exagérés cachant les affections médiocres ; comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est un chaudron fêlé où nous battons les mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.

     

    Gustave Flaubert, Madame Bovary (partie II, chapitre 12), 1857.

     

     

     

     

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 6 : La phase éditoriale : l’engagement.

      

    Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (16 juin 1856)

    Les corrections de la Bovary m'ont achevé. - Et j'avoue que j'ai presque regret de les avoir faites. Tu vois que le sieur Du Camp trouve que je n'en ai pas fait assez. On sera peut-être de son avis ? D'autres trouveront peut-être qu'il y en a trop ? Ah ! merde !

    Je me suis conduit comme un sot en faisant comme les autres, en allant habiter Paris, en voulant publier. J'ai vécu dans une sérénité d'art parfaite, tant que j'ai écrit pour moi seul. Maintenant je suis plein de doutes et de trouble. Et j'éprouve une chose nouvelle : écrire m'embête ! Je sens contre la littérature la Haine de l'impuissance.

    Je dois te scier le dos, mon pauvre vieux. - Mais je te supplie à genoux de me pardonner, car je n'ai personne à qui ouvrir la bouche de tout cela.

     

     

    Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (24 août 1856)

    Je te remercie bien, mon cher vieux, d'avoir parlé à Du Camp de la Bovary. Mais je n'en suis pas plus avancé, puisque tu ne m'as pas envoyé une solution positive. Tout ce que je vois, c'est que je ne paraîtrai pas le Ier septembre. Je soupçonne le sieur Pichat (1) d'attendre mon retour au mois d’octobre, afin d'essayer encore de me pousser ses corrections. J'ai pourtant sa parole et je la lui rendrai, avec un joli remerciement, s'ils continuent longtemps de ce train-là. - Je vais attendre jusqu'au 2 ou 3 septembre. C’est-à-dire dire qu'au milieu de l'autre semaine j'écrirai au jeune Du Camp pour savoir, oui ou non, si l'on m'imprime. Je suis harassé de la Bovary. - Et il me tarde d'en être quitte. Mon ardeur littéraire a considérablement baissé avec la température. Je n'ai rien foutu cette semaine. Saint Antoine (2), qui m'avait amusé pendant un mois, m'embête maintenant. Me revoilà n’y comprenant plus rien. Ah ! Sacré nom de Dieu ! que j'aurais besoin de toi ! Fais-moi donc le plaisir de me dire si tu viendras à Rouen au mois de septembre. - Et vers quelle époque ? Réponds à cette question. Une fois n’est pas coutume.

     

    1. Léon Laurent-Pichat : rédacteur à la Revue de Paris,Madame Bovary fut d’abord publié, en feuilleton, dans six numéros consécutifs.
    2. La Tentation de saint Antoine : œuvre que Flaubert s’est mis à travailler aussitôt après avoir terminé Madame Bovary

     

      

    Lettre de Flaubert à Léon Laurent-Pichat (7 décembre 1856)

    […]

    Disons notre pensée entière ou ne disons rien ;

    3° Je trouve que j'ai déjà fait beaucoup et la Revue trouve qu'il faut que je fasse encore plus. Or je ne ferai rien, pas une correction, pas un retranchement, pas une virgule de moins, rien, rien !... Mais si la Revue de Paris trouve que je la compromets, si elle a peur, il y a quelque chose de bien simple, c'est d'arrêter là Madame Bovary tout court. Je m'en moque parfaitement.

    Maintenant que j’ai fini de parler à la Revue, je me permettrai cette observation, ô ami :

    En supprimant le passage du fiacre, vous n'avez rien ôté de ce qui scandalise, et en supprimant, dans le sixième numéro, ce qu'on me demande, vous n'ôterez rien encore.

    Vous vous attaquez à des détails, c'est à l'ensemble qu'il faut s'en prendre. L’élément brutal est au fond et non à la surface. On ne blanchit pas les nègres (1) et on ne change pas le sang d'un livre. On peut l'appauvrir, voilà tout.

    Il va sans dire que si je me brouille avec la Revue de Paris, je n'en reste pas moins l'ami de ses rédacteurs. Je sais faire, dans la littéraire, la part de l'administration.

    Tout à vous.

    G.

    1. Ici le terme n’est pas péjoratif.

     

      

    Lettre de Flaubert à la Revue de Paris (15 décembre 1856)

     

    Des considérations que je n’ai pas à apprécier ont contraint la Revue de Paris à faire une suppression dans son numéro du Ier décembre. Ses scrupules s’étant renouvelés à l’occasion du présent numéro, elle a jugé convenable d’enlever encore plusieurs passages. En conséquence, je déclare dénier la responsabilité des lignes qui suivent ; le lecteur est donc prié de n’y voir que des fragments et non pas un ensemble.

     

    Gustave Flaubert, Correspondance.

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 7 : Un chef-d’œuvre, un procès.

     

    Le réalisme devant la justice impériale:

    l'exemple de Madame Bovary

    Réquisitoire de M. l'avocat impérial Ernest Pinard (1857)

    […] le genre que M. Flaubert cultive, celui qu'il réalise sans les ménagements de l'art, mais avec toutes les ressources de l'art, c'est le genre descriptif, la peinture réaliste.

    [... ] j'ai précisé quelques portraits, j'ai montré Mme Bovary au repos, vis-à-vis de son mari, vis-à-vis de ceux qu'elle ne devait pas tenter, et je vous ai fait toucher les couleurs lascives (1) de ce portrait ! Puis, j'ai analysé quelques grandes scènes : la chute avec Rodolphe, la transition religieuse, les amours avec Léon, la scène de la mort, et dans toutes j'ai trouvé le double délit d'offense à la morale publique et à la religion.

    […] On nous dira comme objection générale : mais, après tout, le roman est moral au fond, puisque l'adultère est puni ?

    A cette objection, deux réponses : je suppose l'oeuvre morale, par hypothèse, une conclusion morale ne pourrait pas amnistier les détails lascifs qui peuvent s'y trouver. Et puis je dis : l'oeuvre au fond n'est pas morale.

    Je dis, messieurs, que des détails lascifs ne peuvent pas être couverts par une conclusion morale, sinon on pourrait raconter toutes les orgies imaginables, décrire toutes les turpitudes d’une femme publique, en la faisant mourir sur un grabat à l’hôpital. Il serait permis d’étudier et de montrer toutes ses poses lascives ! Ce serait aller contre toutes les règles du bon sens. Ce serait placer le poison à la portée de tous et le remède à la portée d'un bien petit nombre, s'il y avait un remède. [... ] Les peintures lascives ont généralement plus d'influence que les froids raisonnements. Voilà ce que je réponds à cette théorie, voilà ma première réponse, mais j'en ai une seconde.

    Je soutiens que le roman de Madame Bovary, envisagé du point de vue philosophique, n'est pas moral. Sans doute, Mme Bovary meurt empoisonnée ; elle a beaucoup souffert, c'est vrai ; mais elle meurt à son heure et à son jour, mais elle meurt, non parce quelle est adultère, mais parce qu’elle l'a voulu ; elle meurt dans tout le prestige de sa jeunesse et de sa beauté ; elle meurt après avoir eu deux amants, laissant un mari qui l'aime, qui l'adore, qui trouvera le portrait de Rodolphe, qui trouvera ses lettres et celles de Léon, qui lira les lettres d'une femme deux fois adultère, et qui, après cela, l'aimera encore davantage au-delà du tombeau. Qui peut condamner cette femme dans le livre ? Personne. Telle est la conclusion. Il n'y a pas dans le livre un personnage qui puisse la condamner. Si vous y trouvez un personnage sage, si vous y trouvez un seul principe en vertu duquel l'adultère soit stigmatisé, j'ai tort. Donc, si, dans tout le livre, il n'y a pas un personnage qui puisse lui faire courber la tête, s'il n'y a pas une idée, une ligne en vertu de laquelle l'adultère soit flétri, c'est moi qui ai raison, le livre est immoral !

     

    1. lascif : qui porte ou qui est porté aux plaisirs charnels.

     

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 7 : Un chef-d’œuvre, un procès.

     

    Le réalisme devant la justice impériale :

    l'exemple de Madame Bovary

    Plaidoirie du défenseur de Flaubert, maître Sénard

    Mon client est de ceux qui n'appartiennent à aucune des écoles dont j'ai trouvé, tout à l'heure, le nom dans le réquisitoire. Mon Dieu ! il appartient à l'école réaliste, en ce sens qu'il s'attache à la réalité des choses. Il appartiendrait à l'école psychologique en ce sens que ce n'est pas la matérialité des choses qui le pousse, mais le sentiment humain, le développement des passions dans le milieu où il est placé. Il appartiendrait à l'école romantique moins peut-être qu'à toute autre, car si le romantisme apparaît dans son livre, de même que si le réalisme y apparaît, ce n'est pas par quelques expressions ironiques, jetées çà et là, que le ministère public (1) a prises au sérieux. Ce que M. Flaubert a voulu surtout, ç'a été de prendre un sujet d'études dans la vie réelle, ç'a été de créer, de constituer des types vrais dans la classe moyenne et d'arriver à un résultat utile. Oui, ce qui a le plus préoccupé mon client dans l'étude à laquelle il s'est livré, c'est précisément ce but utile, poursuivi en mettant en scène trois ou quatre personnages de la société actuelle vivant dans les conditions de la vie réelle, et présentant aux yeux du lecteur le tableau vrai de ce qui se rencontre le plus souvent dans le monde.

    […] chez lui les grands travers de la société figurent à chaque page ; chez lui l'adultère marche plein de dégoût et de honte. Il a pris dans les relations habituelles de la vie l'enseignement le plus saisissant qui puisse être donné à une jeune femme. Oh ! mon Dieu, celles de nos jeunes femmes qui ne trouvent pas dans les principes honnêtes, élevés, dans une religion sévère de quoi se tenir fermes dans l'accomplissement de leurs devoirs de mères, qui ne le trouvent pas surtout dans cette résignation, cette science pratique de la vie qui nous dit qu'il faut s'accommoder de ce que nous avons, mais qui portent leurs rêveries au-dehors, ces jeunes femmes les plus honnêtes, les plus pures, qui, dans le prosaïsme (2) de leur ménage, sont quelquefois tourmentées par ce qui se passe autour d'elles, un livre comme celui-là, soyez-en sûrs, en fait réfléchir plus d'une.

     

     

    1. Le ministère public : l'avocat impérial, chargé de défendre la loi et la société. Le défenseur de Flaubert lui reproche de n'avoir pas compris l'ironie du narrateur.
    2. Le prosaïsme : la banalité monotone.

     

     

     

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 7 : Un chef-d’œuvre, un procès.

     

    Lettre à Frédéric Baudry

     

    (Peu après le procès, Flaubert écrit à un camarade d’enfance, gendre de l’avocat qui a assuré sa défense.)

    La Bovary m’assomme ! Comme je regrette maintenant de l’avoir publiée ! Tout le monde me conseille d’y faire quelques légères corrections, par prudence, par bon goût, etc. Or, cette action me paraît, à moi, une lâcheté insigne puisque, dans ma conscience, je ne vois dans mon livre rien de blâmable (au point de vue de la morale la plus stricte).

    Voilà pourquoi j’ai dit à Lévy (2) de tout arrêter. Je suis encore indécis.

    Ah ! je sais bien tout ce que vous allez me répondre ! Avouez au fond que vous pensez comme moi, cependant.

    Et puis ? l’avenir ! Quoi écrire qui soit moins inoffensif que ce roman ? On s’est révolté d’une peinture impartiale. Que faire ? biaiser, blaguer ? non ! non ! mille fois non !

     

    Flaubert, Lettre à Frédéric Baudry, février 1857.

     

    1. C'est-à-dire l'adultère.
    2. L’éditeur de Flaubert.

     

     

    Séquence 6

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Le travail de l’écrivain : genèse d’une œuvre

     

    Séance 8 : L’issue du procès.

     Flaubert a été acquitté le 7 février 1857. A cette occasion, Baudelaire écrit l'article que voici en hommage à son confrère, et peut-être comme un plaidoyer pour lui-même, poursuivi en justice pour Les Fleurs du mal. La revue L’Artiste publie son article quelques mois après l'acquittement de Flaubert, le 18 octobre 1857.

     

    Charles Baudelaire, L'Artiste (18 octobre 1857)

    Puisque j’ai prononcé ce mot splendide et terrible, la Justice, qu'il me soit permis, - comme aussi bien cela m'est agréable, - de remercier la magistrature française de l'éclatant exemple d'impartialité et de bon goût qu’elle a donné dans cette circonstance. Sollicitée par un zèle aveugle et trop véhément pour la morale, par un esprit qui se trompait de terrain, - placée en face d'un roman, oeuvre d'un écrivain inconnu la veille, - un roman, et quel roman ! le plus impartial, le plus loyal, - un champ, banal comme tous les champs, flagellé, trempé, comme la nature elle-même, par tous les vents et tous les orages, - la magistrature, dis-je, s'est montrée loyale et impartiale comme le livre qui était poussé devant elle en holocauste. Et mieux encore, disons, s'il est permis de conjecturer d'après les considérations qui accompagnèrent le jugement, que si les magistrats avaient découvert quelque chose de vraiment reprochable dans le livre, ils l'auraient néanmoins amnistié, en faveur et en reconnaissance de la Beauté dont il est revêtu. Ce souci remarquable de la Beauté, en des hommes dont les facultés ne sont mises en réquisition que pour le Juste et le Vrai, est un symptôme des plus touchants, comparé avec les convoitises ardentes de cette société qui a définitivement abjuré tout amour spirituel, et qui, négligeant ses anciennes entrailles, n'a plus cure que de ses viscères. En somme, on peut dire que cet arrêt, par sa haute tendance poétique, fut définitif ; que gain de cause a été donné à la Muse, et que tous les écrivains, tous ceux du moins dignes de ce nom, ont été acquittés dans la personne de M. Gustave Flaubert.

     

    Charles Baudelaire, Œuvres complètes.

     

    L’hommage de Flaubert à son avocat :

    Gustave Flaubert, Madame Bovary, édition de 1902.

     

    A

    MARIE-ANTOINE-JULES SENARD

    MEMBRE DU BARREAU DE PARIS

    EX-PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE NATIONALE

    ET ANCIEN MINISTRE DE L'INTERIEUR.

     

    Cher et illustre Ami,

    Permettez-moi d'inscrire votre nom en tête de ce livre et au-dessus même de sa dédicace ; car c'est à vous, surtout, que j’en dois la publication. En passant par votre magnifique plaidoirie, mon oeuvre a acquis pour moi-même comme une autorité imprévue. Acceptez donc ici l’hommage de ma gratitude, qui, si grande qu'elle puisse être, ne sera jamais à la hauteur de votre éloquence et de votre dévouement.

    GUSTAVE FLAUBERT.

    Paris, le 12 avril 1857

     

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